Tu dévales les marches du palais napolitain, où toute ton enfance n'a été que soleil, pommes sucrées et jeux innocents. Maintenant que tu as grandi, tu te retournes et ce palais te pétrifie, car tout ça, tu l'as perdu, et pour toujours. Tu es devenu un homme, Ulrike. Les filles se retournent sur ton passage, elles voudraient attirer ton regard de brume qui semble constamment voilé par le désir. Voilà ce que tu es, Ulrike, un objet de désir, on te veut mais toi tu t'échappes, tu passes entre leurs mains vers d'autres chemins. On cherche sans cesse à te rattraper, pourtant, on s'acharne. On voudrait toucher ta peau douce et hâlée, héritage de tes origines italiennes. De ta mère, qui t'a transmis cette malédiction, celle d'être désiré par tous et de ne pouvoir qu'en choisir un, tu as reçu aussi les cheveux blonds, les yeux gris, la bouche sensuelle, trop sensuelle. Tu as reçu d'elle cette démarche lascive. Tu pars dans la campagne italienne, tes pas te guident. Tu allumes une cigarette, une malédiction comme une autre car Ulrike, tu es sujet à l'addiction, à la mauvaise addiction. Tout ce qui peut te détruire, tu aimes ça, car tu en as assez d'être une statue de cristal. C'est encore la nuit, mais plus pour longtemps. Bientôt le soleil se lèvera et éclairera ta peau, ton visage. Tu n'es jamais aussi beau qu'à l'aurore. Tu rajouterais avec un sourire, après l'amour. Tu t'étends dans les blés, tranquille. Tu te confondrais avec eux, presque. Et à l'aube, tu renaîs.

Je suis demi-vélane. Ma mère faisait partie du peuple de ces créatures. Je ne crois pas qu'elle ait aimé mon père, car seul l'amour peut rendre ces créatures heureuses. Elle était toujours triste. Elle avait la beauté d'une fleur séchée, belle mais abattue. J'ai hérité d'elle ce caractère ombrageux et sauvage. Ne jamais se rendre. Ne jamais obéir à personne. Sauf à la personne qu'on aime. Ma mère n'avait personne à aimer. Même pas moi. Alors elle est morte. Et la vie a continué, la vie continue toujours.


Les enfants jouaient dehors. Lila, la seconde femme de Matteo Abatucci, les regardait d'un oeil attentif. Elle était heureuse qu'Ulrike s'entende avec ses demi-frères et soeurs. Il semblait avoir une affection toute particulière pour Jasper. Ils avaient quasiment le même âge. Elle s'était tout de suite à l'enfant quand elle s'était mariée. Elle savait qu'Ulrike ne l'appellerait jamais maman et ne la considérerait jamais comme telle. C'était un enfant étrange, tout de même. Il tenait bien plus de sa mère vélane que de son père, simple sorcier.

Sans être d'une extrême beauté, il avait ce côté ... inhumain. Surnaturel. Quand il marchait, quand il regardait dans le vague par exemple. Quand le soleil passait dans ses cheveux, l'entourant alors d'une sorte de halo. Quand ses yeux se mettaient à briller légèrement, signe de colère. Mais son caractère aussi prenait ses racines dans ses origines. Il était ombrageux, sauvage, indomptable, déterminé. Tendre dans ses caresses, effrayant dans ses colères. Il menait sa vie, comme un chat. Il se levait à l'aurore pour profiter des couleurs de l'aube, paressait au soleil, nageait nu et sans honte dans les eaux des lacs, courait dans les étendues immenses. Il revenait parfois à l'heure du déjeuner, ou restait invisible. Lila avait compris depuis bien longtemps qu'une partie de cet enfant était irrésistiblement attiré par la solitude des grands espaces. Bien que protecteur, voire possessif, il lui fallait sa liberté. Et si par malheur, l'on venait perturber son monde sans sa permission, il se refermait sur lui-même, devenant encore plus silencieux qu'il ne l'était déjà.

Soudain, Lila fut tirée de sa rêverie. Elle sursauta et se rendit compte qu'Ulrike s'était silencieusement assis à côté d'elle dans la balancelle. Il regardait droit devant lui, mais tenait quelque chose dans sa main. Brusquement, sans prévenir, il posa un bouquet de fleurs fraîchement arrachées sur les genoux de Lila et s'enfuit en moins de temps qu'il ne fallut pour le dire. Lila le laissa partir. Elle regarda le bouquet, attendrie et troublée. Il n'était pas comme les autres. Il ne le serait jamais.