L’orange plongea dans le sillon de l’ocre pesant du ciel, parsemé par des traits blancs de nuages indésirables, l’explosion de couleurs emplit le ciel d’une teinte magique et unique malgré le cycle répétitif des couchers de soleil. L’amalgame valsa encore un moment dans le vaste ciel dégagé par les hautes températures qui balayaient le pays depuis plusieurs jours, virevoltant en couleurs profondes et diverses, tantôt foudroyantes tantôt éclaircies et effacées. La toile blanche d’un peintre se serait remplie d’une palette de couleurs vivantes, virevoltant pour suivre le rythme des cieux qui obéissaient à une règle que seul eux pouvait en saisir l’enchaînement. Et pourtant les deux amoureux qui soulevaient des nuées de sables en roulant sur le dos, n’échappaient guère à la bulle qui les entourait pour daigner d’assister à la magnificence du spectacle qui se peignait sous leurs yeux étourdis par un amour violent et mortel. Leurs peaux réchauffées par les hautes températures se frôlaient avec une douce insolence, puisant dans leur ressources respectives, un peu « de l’autre » et, tentant d’imprégner un peu de soi, une course contre la matière échangée sous des baisers langoureux et un mélange pêle-mêle de mains qui hébétées filaient sur des landes maudites encore inconnues, occasionnant d’agréables frissons. Il leur était pourtant interdit … l’interdit s’était brisé plus tôt sous l’effluve du parfum cocasse qui s’était insinué dans une chambre plongée dans les ténèbres pour abriter une âme en perdition qui devant une telle tentation n’avait opposé qu’une maigre résistance à ce fugace appel. On dit l’homme faible, la femme tentatrice, et la pomme l’ultime fruit de la tentation, et il en fut ainsi … Balbutiant jusqu’à la porte de sa prison solitaire il l’ouvra brusquement sur le vide encore comblé par la délicieuse présence qui avait frôlé l’air un éphémère instant auparavant, guidé par un instinct animalier, il la trouva à quelques pas à peine de l’atteinte de ses doigts, qui ne tardèrent point à courir sur les délicates épaules dénudées de toute protection à des mains trainantes comme la sienne. Elle le reconnut avant même qu’il ne l'oblige à lui faire face, et que les courbes de leurs lèvres, brûlantes d’impatience, n’anéantissent en cendres chaudes les règles. Dans une ballade voluptueuse ils rejouèrent l’ancien mythe de la princesse et du pauvre, guidés par leurs sens dénudés de logique ou de conscience. L’été touchait à sa fin, les vacances expiraient au fil des journées qui ne cherchaient plus à s’allonger mais bien au contraire réduisait les précieuses minutes dans le but de préparer la prochaine saison, et avec cela, la fin du flirt dans le quel l’aristocrate et l’enfant du peuple s’étaient lancés dès leur premier regard.
- Viens avec moi Jay.
- (rires) Et où me cacherais-tu ? Dans ta poche ?
- Je suis sérieux regardes-moi… Je t’.
- Tais-toi, l’interrompit-elle avec simplicité mais fermement, le délicat féminin glissa jusqu’aux pulpeuses lèvres de l’homme pour l’empêcher de prononcer l’irréparable. Soupirant contrainte elle lui jeta un regard désespéré avant de répondre.
- Ne rends pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont. Je vais m’en aller et tu continueras ta vie, cela n’était qu’une passade, nous vivons dans deux mondes bien trop différents.

Foutaises. Elle se dégagea de son emprise, effleurant une dernière fois ce regard de velours qui la propulsait sur des charbons ardents la jeune blonde le quitta avec un baiser déchiré par le désir et l’adieu définitif. Se détournant de celui qui n’avait été qu’un objet au service de sa propre distraction pendant les jours incandescents qui s’étaient abattus en Italie, la jeune anglaise retourna dans le manoir de plaisance reprendre sa place de protégée et chérie de la famille Svensson, néanmoins, malgré son égoïste satisfaction d’être parvenue à arracher ce qu’elle voulait de lui une étrange amertume lui rongeait le bas du ventre, poursuivant son chemin elle ne s’arrêta qu’une fois les denses feuillages des bois visibles, s’effondrant contre un grand chêne, elle ne perçut que la véritable nature du nouvel acide qui coulait dans ses veines dévastant toute son énergie ou vicieuse satisfaction : elle l’aimait et ne reverrait jamais. Piégée à son propre jeu, son cœur porterait le deuil de celui pour qui l’amour n’avait ni limites ni frontières, elle ne pourrait jamais aimer quelqu’un comme lui … dévastée par un tel aveu, elle fut prise d’un haut le cœur et secouée pendant quelques secondes par cette nouvelle maladie qu’une fois cessée la laissa tremblante de fièvre par 30°. Plongée dans la folie causée par la fièvre, son délire était parsemé par des rares éclairs de lucidité qui ne lui permettaient que d’assister impuissante à l’écoulement du temps sans pouvoir se mouvoir ou crier à la délivrance, mais avant l’esquisse d’un essai elle retombait dans son état premier, à mi-chemin de la réalité et convergée par une ancre qui la poussait vers le fond. Ce fut ainsi qu’un des gardes trouva sa silhouette échouée et la ramena à ses parents forts inquiets.




Le rêve étincelant de pureté vola en éclats sanguinaires.

Le blanc éclata, maître des lieux répandu sur les décorations, les tissus, la robe de la mariée, le sourire de l’homme. Le blanc masquait les plus infâmes mensonges dans un éclat de pureté que personne ne pourrait corrompre, le blanc rendait légitime une grossesse déjà entamée et qu’il n’était impossible d’arrêter … le blanc était son unique espoir.
- Jay voulez-vous de prendre pour époux Matt ?
- Oui, je le veux.
- Matt souhaitez-vous prendre pour épouse Jay, ici présente ?
- Oui je le veux
[…]
- Vous pouvez embrasser la mariée.

C’était le début de la fin. Jay ne pouvait lutter contre l’enfance qui se développait derrière les vêtements qui cachaient habilement sa grossesse, Matt était riche, beau jeune et blond. Il n’avait ni la peau bronzée, les cheveux jais et des yeux fauves. Il n’était pas lui. Après le malheureux épisode de l’Italie, les Svensson retournèrent dans les froideurs de l’Europe du Nord, leur fille retrouva sa vitalité qui lui avait échappé sous le soleil latent du magnifique Sud de l’Europe, malgré les inquiétudes, Jay récupéra à merveille sous les apparences mais ne fut jamais véritablement la même. Pourchassée par des souvenirs incessants, son regard vivace s’effaçait dans le vide pendant que ses réminiscences défilaient en boucle, encore et toujours. Dans son silence, Jay masquait une douleur froide qui transperçait son être marqué à jamais par l’abomination qu’elle avait commise plus jeune, cicatrice douloureuse qui ne cessait de lui rappeler que dans sa soif de possession elle se retrouva sans rien : il lui aurait été aisé d’opter entre le titre où l’amour, elle avait insolemment choisi la pratique hédoniste et s’était retournée pour rejoindre son rang, mais malgré les apparences malléables, ses sentiments restaient intacts, elle ne pouvait si aisément se leurrer. Puis Matt arriva et le conte de fée redémarra, il avait tout pour une âme qui cherchait désespérément à s’accrocher à un port fiable, et sans retenue elle s’empara de ce cœur innocent qui ne demandait qu’à aimer, aveuglé par la beauté d’origine vélane il ne su déceler son erreur, se damnant pour le restant de sa vie. Ils partagèrent une existence complice, comblée par les vices du luxe les trous béants et présents de leur couple imparfait en pratique.

Mais l’arrivée de l’enfant qui emplit les cœurs de joie brisa l’illusion des masques et, le public s’effondra face à l’horreur de la scène, Matt découvrit la vérité, Nyx avait déjà atteint ses sept ans à cette époque, l’aimant comme son propre enfant il ne la rejeta point, il l’emmena loin de cette mère machiavélique qui finit par mettre fin à ses jours sous l’effet de la solitude, rompant définitivement avec les liens lacérants de son terrible secret. Les sept années de mensonges souillèrent les souvenirs de Matt qui fut désormais incapable de regarder l’enfant comme auparavant, elle était un étrange enchevêtrement des moments les plus joyeux de son existence cependant, elle était le signe vivant du mensonge honteux dans lequel il a été trompé pendant toutes ses années sans même avoir une once de soupçons. On ne peut nier que la couleur corbeau de la chevelure de la jeune femme ne l’avait laissé au début perplexe sur la véritable origine de l’enfant, elle avait cependant la couleur de ses yeux, et il s’était raccroché à cette idée sans guère demander de plus. La déception se mêlait à l’amour quand son père posait son regard calme sur l’enfant, il finit cependant par abandonner l’idée de la garder à ses côtés après tout, il n’en était point le père et Nyx finirait par sentir le désarroi venant de sa part. Nyx quel nom ironique, pensait-il maintenant, il comprenait pourquoi sa cinglée de femme avait insisté et comme souvent, son opinion l’emporta sur les volontés de son homme-porte-feuille. Il la laissa aux mains des grands-parents Svensson qui sauraient mieux que lui, comment gérer une telle enfant. Il lui jeta un dernier regard avec un sourire désolé avant de s’effacer par le trou béant de la porte qui donnait sur une nuit sans étoile. Par la fenêtre, Nyx pu suivre sa silhouette qui se gommait dans la nuit avant de disparaître totalement, emmenant avec lui les sanglots de l’enfant qui sentait déjà, dans les abysses de son âme, naître la profonde solitude. Elle aurait pu rester là tout la nuit pour l’attendre, guettant le moindre signe de vie dans le noir, néanmoins ils ( les adultes) la prirent par la main et sans un mot de réconfort la montèrent à l’étage pour l’allonger sur un lit inconnu, la petite fille ne comprenait pas tout, ballotée par son chagrin elle n’eut pas le courage de leur poser des questions ou user de l’art de la conversation que sa mère lui avait appris.

Le lendemain on vint la réveiller très tôt, on la fit s’habiller avec de chauds vêtements qu’elle n’avait jamais vus auparavant, sans le moindre mot elle fit ce qu’on lui demanda de faire. Le petit déjeuner fur bref et pesant, Nyx ne comprenait pas le regard réprobateur que lui jetait la dame ni pourquoi le regard de l’homme refusait que le sien le rencontre, le détournant à chaque fois que les petites prunelles enfantines se posaient sur son visage mangé par des rides nombreuses. Ils la laissèrent à son repas, se retirant dans une pièce annexe sans penser que la petite fille aurait eu la décadence de les suivre. Délaissant le repas qui, malgré ses airs appétissants, la laissa indifférente, elle suivit leur pas mais ne put aller plus loin quand les bribes de leur conversation leur vint aux oreilles :
- Mais qu’est-ce qu’on va en faire ? ( c’était le vieux)
- On la gardera pas c’est sûr ! On a qu’à l’envoyer chez sa tante !!
- Cette folle ?
- Pas plus qu’elle ne l’est elle, tu l’as vu ? Elle ne dit rien, sa mère s’est suicidée et c’est une fille à moitié moldue !!!! Que diront les voisins en sachant qu’on a une petite fille cracmol à cause des stupidités de notre fille ?
- Mais ce n’est qu’une enfant … !
- Tu n’auras qu’à t’en occuper dans ces cas là ! Mais loin de moi, je n’entacherais pas la réputation de cette famille ! Tu deviens sénile avec l’âge Edouard.
- Pardon ? Si tu jouis de notre richesse dans ce manoir c’est grâce à ma « sénilité » je te rappelle, si tu n’es pas contente, la porte est ouverte !
- Tu me jettes dehors ?
- Non mais tu serais gentille de ne pas me critiquer sous mon toit !

Les yeux de l’enfant se remplirent de larmes, comprenant enfin qu’après que sa maman soit allée au paradis peut-être à cause d’elle, que son père l’avait lâchement abandonnée, désormais même eux ne voulaient pas d’elle … Sa vue était masquée par les grosses larmes qui coulaient piètrement sur ses joues encore trop rondes, caractéristique de son jeune âge, néanmoins elle courut sans savoir où aller, passant les interminables portes jusqu’à s’échouer contre le mur le plus proche, essoufflée et déchirée par la tristesse. Nyx leva les yeux vers le ciel et pria en silence pour qu’on lui redonne sa maman, elle au moins l’aimait.


----



F L A S H B A C K

- Qu’est-ce que je vais faire de toi louloute ? Tu ne peux pas continuer de passer tes journées ainsi, il faut que tu retournes à l’école, c’est ce que maman aurait souhaité tu sais ?
Pour seule réponse, la fillette laissa perler une grosse larme, rapidement suivie d’un torrent de semblables, que sa tante allait tenter d’arrêter, telle une hémorragie. La mère du petit était morte depuis une année cependant, Nyx ne s’en remettait pas, malgré tout l’amour qui lui portait sa tante, elle commençait à désespérer, l’emmener voir un médecin ne changerait pas le problème à St Magouste non plus, de plus elle n’était même pas certaine qu’elle ait héritée des pouvoirs de sa mère puisque son père était un moldu inconnu, de sang impur d’après ce qu’elle avait compris dans la lettre que sa sœur ne le lui avait laissé post-mortem. Ah sa sœur n’avait jamais réussi à trouver le bon numéro, allant de pis en pis jusqu’à en tomber amoureuse et enceinte d’un homme qui ne lui trouvait autre utilité que de rendre leurs parents fous de rage et s’auto détruire à petit feu. Si elle, avait réussi à échapper aux griffes de leurs parents aliénés par des questions de sang et d’honneur, elle ne pouvait pas en dire autant de Jay qui avait vendu son âme au diable pour vivre dans un grand manoir luxueux, se marier à un homme puissant et au sang pur évidemment, mariage arrangé mais qui ne lui aurait pas déplu car Cécile était prête à parier, qu’elle aurait choisi un candidat à la beauté presque parfaite. C’était du Jay tout craché, et elle ne s’était pas trompée en recevant l’invitation au mariage illustrée par une photographie animée du couple souriant.
Quant à elle, à l’âge de 18 ans, elle s’était rebellée contre ce monde qui ne lui semblait répondre à aucune règle descente ou acceptable, elle avait quitté le manoir sans regret après une dispute sulfureuse avec ces géniteurs qui lui avaient promis de jamais plus, lui adresse une parole, un regard ou une aide. Ils l’avaient tenu en partie … rompant le pacte de non présence mais elle ne leur en voulait pas, pour une fois dans leur inconsciente vie, ils avaient opté pour la bonne décision, elle pouvait sauver cette enfant de la démagogie qu’ils le lui auraient imposé, elle était presque soulagée malgré la peur tenace qui la guettait : s’occuper d’un enfant elle vraiment ?

Quelques années plus tard, même maison.

- Nyx tu vas être en retard !
- J’arriveeeeeeeeeeeeeeeee
- T’es pas capable d’arriver à l’heure bon sang ?
- C’est bon c’est bon.

L’adulte et l’enfant sortirent de la maison courbée en deux pour lutter contre le vent et la tempête de neige. C’était le premier jour que la petite fille allait à l’école, elle se sentait tendue mais la présence de Cécile la rassurait. Elles s’entendaient bien, même si elles continuaient à s’adapter l’une à l’autre, n’étant pas totalement cent pour cent familière l’une à l’autre.

Nyx avait beaucoup grandit depuis le jour où Cécile l’avait trouvée sur le pas de sa porte, muette et frêle. Pour son âge, elle était exceptionnellement perspicace, et intelligente malgré des défauts moins faciles à porter comme sa tendance à être ombrageuse et à ne pas faire confiances à son entourage, Cécile en avait la preuve au quotidien. Nyx était néanmoins mature pour son âge, elle ne se plaignait jamais, elle ne piquait pas des crises, plutôt indépendante elle faisait tout dans le secret et le silence pour ne pas « déranger » prétendait-elle. Cécile se demandait si son passé n’avait pas bien trop déteint sur sa personne, elle en gardait des cicatrices évidentes, une enfant ça dérange, ça fait du bruit, ça a besoin d’attention et pourtant Nyx était loin de pouvoir se vanter de lui en faire baver, au contraire, elle était exemplaire et calme.

F I N D U F L A S H B A C K