J’étais encore tout petit, pas plus grand que deux pommes – peut-être un peu plus mais j’ai toujours aimé exagérer les choses – et je gambadais joyeusement de pièce en pièce dans notre grande maison. Cela doit être une caractéristique des sangs purs : les immenses demeures. Je ne me perdais jamais, je savais d’instinct où je me trouvais. Mais ma mère était persuadée à chaque fois que je n’avais pas ce sens aigu de l’orientation, et elle passait généralement toute l’après midi à me chercher. J’étais extrêmement farceur, et j’aimais la faire courir dans tous les sens. Sadique ? Sûrement, mais à mon jeune âge, personne n’employait ce mot pour me qualifier. De plus, souvent je me faisais passer pour quelqu’un d’autre, rendant une partie de mon corps totalement étrangère à ma mère. Souvent, je changeais la couleur de mes cheveux, mais ce que j’arrivais le mieux à faire c’était changé la couleur de mes yeux. Néanmoins, je n’avais aucun contrôle là-dessus, mes yeux changeaient de couleur constamment et ma mère avait beau dire que ceux-ci étaient bleus à ma naissance, la plupart des enfants ont les yeux bleus lorsqu’ils naissent. Je ne savais donc pas la réelle couleur de mes yeux, même si ceux-ci devenaient azur lorsque j’étais fatigué.
« Ariel ! Où es tu mon amour ? Mais où te caches tu cette fois … »
Je pouffais dans l’armoire qui faisait office de cachette, et j’entrouvrais la porte pour regarder ma mère passait et repassait devant ce meuble. J’éprouvais un certain plaisir à la rendre chèvre, c’est vrai, mais elle ne semblait pas s’en rendre compte et c’était encore plus amusant. Cependant, elle commençait sérieusement à s’inquiéter, et j’aimais trop ma mère pour la laisser paniquée à l’idée que je me sois enfui. Je crois bien que c’était sa hantise : que je la quitte à jamais. Mais jamais cela ne me serait venu à l’idée, je m’amusais bien trop pour quitter ses lieux, et j’appréciais tellement la présence de ma mère que je ne pouvais songer à partir loin d’elle. Un fort lien nous unissait, mais en même temps pourrissait mon éducation. Mais du haut de mes cinq ans, je ne me sentais pas encore étouffé par l’affection de ma mère. Elle était trop protectrice, et je ne savais pas encore pourquoi.
« Maman, je suis là ! »
Je sortis tout fier de ma cachette, me jetant dans ses bras, un grand sourire aux lèvres. Elle rit doucement, me traitant de coquin avec tendresse et amusement. Me prenant dans ses bras et me portant, ma mère me transporta jusqu’à la salle à manger où le diner était déjà prêt. L’avantage d’être riche, c’était que le personnel ne manquait pas. Et comble du bonheur pour les riches sorciers, c’était d’avoir des esclaves – pauvres bêtes -, des elfes de maisons. Je me mettais à table avec empressement, salivant déjà devant les plats sur la table. Jouer toute la journée ouvrait l’appétit !
Alors que je mangeais tranquillement face à ma mère, un bruit de porte qui s’ouvre brutalement se fit entendre. Ma mère se pétrifia, son regard empli d’une horreur indescriptible et j’entendais presque son souffle saccadé. Quelque chose venait d’entrer, ou alors quelqu’un. Un invité imprévu et non désiré, peut-être même effrayant. Etant dos à la porte de la salle à manger, curieux comme tout, enfin aussi curieux qu’un enfant, donc avec toute cette innocence de celui qui ne comprend pas, je tournais la tête et finalement tout mon corps, me mettant à genoux sur ma chaise, impatient de voir le visage de l’inconnu. Car celui-ci approchait, cela s’entendait grâce au bruit lourd qu’il faisait en marchant avec une lenteur sans doute exagérée. Puis enfin il arriva derrière notre dernier rempart qu’il franchit après avoir toqué doucement, sans doute avec une ironie que je ne pouvais comprendre étant trop jeune. Quand l’étranger révéla son identité, un immense sourire atterrit sur mes lèvres, et je me levais avec brusquerie pour me jeter dans ses bras.
« Je suis heureux de te revoir mon puceron. Ah j’ai une faim de loup ! »
Je ne vis pas le sourire carnassier de mon père, et encore moins le frisson qui parcourut le dos de ma mère à cet instant. J’étais trop heureux de retrouver la figure paternelle pour faire attention à autre chose qu’à ce sentiment de joie qui m’envahissait. Il était parti longtemps, sans donné de nouvelles. Ma mère n’avait pas paru inquiète, elle semblait même étrangement sereine. Mais cette sérénité c’était envolé, on le voyait à son regard apeuré. Mais encore une fois, je ne vis pas les états d’âme inquiétants de ma mère et restais en haut de mon petit nuage blotti dans les bras de mon père. Me portant sans aucun souci, étant fort comme un taureau mais finement sculpté, il s’assit avant de me mettre sur ses genoux et de rapprocher mon assiette d’un sort. J’étais fier par nature, c’est donc pour ça que je me mis en tête de l’impressionné autant que ses sorts me fascinaient. Avec détermination, je fronçais les sourcils, je me concentrais à mon maximum et je réussis à faire ce que je n’avais jamais réussi avant : faire concorder la couleur de mes yeux avec celle de mes cheveux. Les deux parties de mon anatomie étaient devenues rouge pâle.
« Ouh ! Te voilà avec une crinière de feu mon ange ! Et bien Sahara, le repas n’est pas assez bon ? Tu as décidé de faire un régime à la mode moldue ? Pourquoi ne manges-tu pas, mon amour ? »
La réaction de ma mère fut anormalement brutale. Elle se leva avec bruit, assena un « je n’ai plus faim » d’une voix blanche et sortit de la pièce sans un mot. Je suivais des yeux ma mère jusqu'à ce que je la perde de vue quand elle tourna dans le couloir. Je restais perplexe devant cette scène, interrogeant du regard mon père. Ce dernier ne semblait pas du tout perturbé, et un sourire qui aurait du me rendre méfiant et me faire peur s’étalait sur son visage d’une couleur légèrement hâlé. D’ailleurs, cela n’était pas normal, nous avions tous la peau atrocement pâle dans notre famille, mais cet homme avait atrocement changé depuis la dernière fois que je l’avais vu. Sa musculature s’était affermie et une lueur bestiale brillait dans ses yeux autrefois si froids et calmes. Pourtant je ne remarquais rien, et sa transformation ne me faisait que l’admirer encore plus. Si je m’amusais à rendre ma mère troll, je préférais me tenir sage pour impressionner mon père. Celui-ci m’ébouriffa les cheveux avant de répondre à mes questions muettes :
« Ne t’inquiète pas Reagan, maman était juste surprise que papa arrive si vite, ce n’était pas prévu. Ah ! Comme je suis heureux de vous revoir, de rentrer chez moi ! Tu m’as manqué mon petit sorcier parfait. »
Je riais aux éclats alors que sa caresse se transformait en chatouilles, et après dix minutes d’une petite guerre gentille, il me conseillait d’aller me coucher alors que je baillais déjà à m’en décrocher la mâchoire. Je boudais, refusant d’aller au lit, voulant rester à tout prix avec lui. J’avais le désagréable pressentiment qu’il fallait que je profite de sa présence maintenant car je n’aurais pu l’occasion de le faire avant longtemps. Son dernier voyage avait été si long … Mais sa voix se fit plus forte, plus ferme, et je dus me résoudre à retrouver mes draps.


La porte de la cuisine était entrouverte et des paroles brutales faisaient vibrées les murs de la pièce. Normalement, personne ne s’aventurait ici, considérant que cette pièce n’était destinée qu’aux elfes de maison. Personne, sauf moi. Du faut de mes huit ans, j’aimais plus que tout me balader dans les couloirs sombres du dernier étage. Il m’était absolument interdit d’y aller, mais les règles sont faites pour être transgressées. Et je ne risquais pas grand-chose à mon humble avis dans les profondeurs de ma maison. Il n’y avait jamais eu à ma connaissance un troll ou encore un basilic dans ces lieux. Mais peut-être aurais je du m’abstenir d’arpenter chaque recoin de ma maison et surtout de m’aventurer à cet endroit précis. A croire que les gens en général aimaient les endroits sombres pour se crier dessus en toute discrétion, et qu’ils étaient incapables de trouver des salles plus ensoleillées. Pourtant la maison était grande ! Bref, grande ou pas, j’assistais à une conversation que je n’aurais jamais du subir. Les voix ne m’étaient pas inconnues, loin de là. Elles appartenaient à ma mère et à ma grand-mère maternelle. Cette dernière s’était invitée toute seule chez nous depuis une semaine, et son silence témoigné de son observation. Oui, elle nous observait. Plusieurs fois, un long frisson avait parcouru mon échine alors qu’elle me regardait de ses yeux de glasses. Et là, plaqué contre le mur qui longé la salle où se trouvaient ces dames, j’écoutais attentivement les vociférations de ma grand-mère et les cris désespérés de ma mère.
« Réveille toi ma fille ! Tu sais très bien que cet homme ne fera aucun bien à ton enfant !
- Mais c’est son père ! Je ne peux pas faire, tu ne peux pas faire ! C’est son père !
- Je l’emmènerai avec moi, je ne laisse le choix à personne, cette conversation est et restera stérile.
- Je suis sa mère ! Ta fille ! Aurais-tu aimé qu’on t’arrache à moi ? Aurais-tu accepté ça ?
- Je ne t’ai pas élevé dans une situation dangereuse. Personne n’était près à se jeter sur toi pour te dévorer.
- Ne dis pas ça ! Il fait beaucoup de sacrifices ! Dès qu’il sent que la transformation est proche, il s’éloigne. Il ne lui fera jamais aucun mal !
- C’est pour ça que tu trembles à chaque fois qu’il est près de toi ? Tu es ridicule, je l’emmène. »
Sur ces mots dits avec froideur, la vieille dame à la démarche rigide et au port de tête toujours droit sortit de la cuisine avec satisfaction. Je m’aplatissais contre le mur, bloquant ma respiration, alors qu’elle s’éloignait. J’entendis tout à coup des sanglots peu retenus provenant de la pièce qu’avait quittée l’aristocrate femme. Sans réfléchir plus longtemps, sachant très bien à qui appartenait ses gémissements, je rentrais en courant dans la cuisine, bousculant une ou deux chaises, atteignant ma mère et la prenant sans hésitation dans mes bras. Je ne saisissais pas tout, mais le peu que j’avais compris me laisser perplexe. Qui était en danger ? Qui était le danger ? Mais ma douce maman n’était pas disposée à répondre à mes questions, aussi me taisais-je, caressant ses cheveux, lui murmurant des mots d’amour. Mais ma présence ne semblait pas l’apaiser bien au contraire.
Après une bonne heure, je la laissais à sa souffrance, ne supportant plus son agitation qui m’était alors inexplicable. Je m’éloignais d’elle en lui jetant des coups d’œil inquiets puis je retournais dans ma chambre où j’étais censé être, endormi. La nuit fut agitée, et dès que je fermais les yeux la conversation entre les deux femmes me revenaient. J’essayais de comprendre, mais rien ne vint s’éclairer cette nuit là.
La réponse arriva d’elle-même le lendemain, alors qu’après avoir pris mon petit déjeuner, je remontais dans ma chambre. En effet, j’y découvris une elfe de maison rangeant mes multiples affaires personnelles dans de grandes malles ouvertes en grand. J’étais étonné, les yeux écarquillés, tandis que les événements récents se faisaient enfin clairs pour moi. J’allais partir aucun doute là-dessus, emmené de force par ma grand-mère sévère, arraché à mes parents. Cette simple pensée, constatation, me semblait irréelle, et je n’arrivais pas à me projeter dans un avenir sans ma mère et encore moins sans mon père même si celui-ci était souvent absent. Je me sentais seul, affreusement seul tout à coup. J’avais huit ans, et j’avais totalement conscience que ma vie ne serait plus comme avant. Oh, elle serait toujours joyeuse, j’aurais toujours l’occasion de faire tourner en bourrique mon entourage, mais mon éducation ne serait plus la même, et les principes qu’on m’enseignerait seront totalement différents. Les larmes coulaient d’elles même le long de mes joues, et je ne cherchais même pas à les retenir.

Cacher les apparences, encore et toujours. S’adapter à chaque instant, à chaque situation. Ne jamais être le même, car les gens n’aiment jamais ce que vous êtes, ils préfèrent que vous soyez comme eux le veulent. Leur faire plaisir, ou bien alors s’amuser et être le contraire de leur espérance. Changer, se transformer et cela en permanence. C’est ce que ma grand-mère m’a appris. Son éducation m’avait amené l’hypocrisie. Une hypocrisie douce et discrète, si discrète que personne ne s’en rendait compte, même pas ma mère, et encore moins mon père qui devenait de plus en plus sombre au fil des années et donc de plus en plus aveugle.


La demeure de ma grand-mère était aussi grande que celle où je vivais avant, et on pouvait même considérer qu’elle était plus chaleureuse. Des tentures rouges un peu partout, mais une grande concentration de vert dans les quartiers personnels de ma grand-mère et des miens. Le rouge et l’or, une simple couverture, pour faire croire aux autres que nous étions des gentils petits sang purs. Ce n’était encore une fois qu’apparence, car mon aïeule, même si elle m’aimait et me dorlotait, n’était pas une Gryffondor, mais une vraie Serpentarde. D’ailleurs, elle aimait me le rappeler avec un grand sourire fier, me racontant les pouvoirs immenses qui m’appartenaient grâce à mon sang. Elle ne faisait pas partie de ceux qui haïssait réellement les Sang Mêlés ou les moldus, mais il était clair qu’il n’avait pas beaucoup d’importance pour elle. Cependant elle ne m’en parlait pas souvent, déclarant que je devais être poli mais manipulateur avec tout le monde.
Je finissais de boutonner ma veste de velours dans ma chambre. Je laissais mon regard glissé sur le miroir, me mirant une dernière fois, passant ma main dans mes cheveux. Je fis un sourire sincère avant que celui-ci ne s’élargisse plus. Quelqu’un d’initié aurait vite compris que je n’étais pas sincère dans ma joie. Oh j’étais heureux, certes, mais mon sourire ne reflétait en rien mon humeur, il était trop poli, trop étiré, trop travaillé. Je descendais lestement les marches du grand escalier qui amenait dans le hall. Encore une fois je me regardai dans le miroir et cette fois-ci je pris soin de changer la couleur de mes yeux. Doucement ils devinrent verts, mais je savais pertinemment qu’au cours de la soirée, ils changeraient plusieurs fois de couleur. Je n’étais pas inquiet, cela surprenait plus positivement que négativement. On m’avait même dit une fois que cela me donnait un charme tout particulier. Heureusement que personne ne songeait que la couleur de mes yeux signifiait un état d’âme particulier, sinon j’aurais été transparent à cette personne. Un elfe de maison m’annonça, et je pus enfin entré dans la grande salle à manger qui avait revêtu son apparat vert pour une fois. Nous devions recevoir des amis à ma grand-mère si je comprenais bien.
« Bonsoir.
- Oh, mais voici le jeune Reagan ! »
Je lançais un regard noir à ma grand-mère qu’elle seule vit. En effet, cette dernière s’était mis en tête de m’appeler par mon deuxième prénom qu’elle trouvait plus … virile ? C’est en tout cas ce qu’elle en pensait. J’aimais mon prénom, Ariel, il me rendait spécial, unique, encore plus mystérieux. Tout le monde se laissait avoir par ce prénom, car tout le monde croyait que ce patronyme cachait quelqu’un de sensible et fragile. Que nenni ! Mais ça, les gens n’étaient pas obligés de le savoir …


J’avais onze ans, et il n’y avait aucun doute que je sois sorcier puisque déjà dès ma naissance je pouvais me transformer à volonté et de plus mon pouvoir était assez … incontrôlable. Si bien que des petites catastrophes sans importances arrivaient fréquemment mais cela faisait sourire ma grand-mère qui aimait dire à notre entourage que cela cachait un pouvoir trop puissant. Je ne savais pas si elle avait raison et d’ailleurs je ne voulais pas le savoir, le principal était que les autres la croient, non ? Tout cela pour en venir au fait que je venais de recevoir la lettre de Poudlard que chaque sorcier digne de ce nom reçoit lorsqu’il atteint ses onze ans. Fier comme un paon, je brandissais la lettre au dessus de ma tête, poussant un cri de victoire. Ma grand-mère n’essaya même pas de me réprimander – et bien oui, je devais bien me comporter et les explosions de joie n’étaient pas un bon comportement -, elle-même heureuse pour moi. Soudain, je m’arrêtais de m’agiter partout pour me mettre face à mon aïeule. Mon regard implorant ne tromperait personne, et surtout pas cette vieille femme qui avait usé et abusé de tous les regards possibles et inimaginables pour obtenir ce qu’elle souhaitait.
« Oui, Reagan, tu peux aller voir tes parents. Mais il est tard, tu sais, alors ne traîne pas ! »
Je lui fis un grand sourire pour la remercier alors que je me dirigeais déjà vers la cheminée. Je me jetais dans les flammes vertes clamant le nom du manoir de mes parents. Une fois arrivée, ce qui me surprit le plus fut l’absence de lumière dans le salon. D’habitude, ma mère aimait rester près du feu jusqu’à ce que la nuit soit très avancée. Mais cette fois ci, elle n’était pas là et la pièce était froide. Intrigué, mon cerveau fonctionnant à plein régime pour trouver une raison à tout cela ou plutôt à ce manque de cela, je traversais les couloirs. J’ouvrais les portes de plus en plus vite, sentant l’inquiétude prendre possession de moi. Mais toujours rien. Je descendais alors, allant dans les profondeurs de la maison. Je m’arrêtais face à une porte massive. Elle était entrouverte et j’avais soudain peur de ce que je pouvais trouver de l’autre côté. Je pris mon courage à deux mains, et j’entrais sans bruit dans la pièce. Celle-ci n’était éclairée que part un soupirail, laissant filtré les rayons de lune. La blanchâtre clarté balayait le sol mais aussi un corps frémissant. Je m’approchais doucement de la forme. Une fois arrivée près de la silhouette humaine, je reconnus enfin la personne. C’était ma mère. Gardant mon calme, mais tremblant quelque peu, mes yeux prenant une couleur des plus clairs, ma peau devenant pâle voire translucide, je retournais le corps allongé sur le côté.
« Maman ? »
Un gémissement me répondit. Son corps était lacéré, son visage rouge de son sang, ses bras maculés de bleus. Mes yeux devinrent rouges, virant tout doucement au pourpre. Qui avait fait ça ? Qui ? Qui avait osé la malmener ainsi ? Les plaies étaient profondes, elle devait souffrir à un point inimaginable et j’avais l’impression de souffrir avec elle. Mais une rage immonde se propageait en moi, me rendant presque fou. Celui qui avait fait ça ne méritait plus la vie.
« Oh Ariel … Pars, laisse moi … Il … Il …
- Qui Maman, qui ?!
- Ton … Ton …
- Mon ?!
- Père. »
Je fus paralysé quelques instants. Mon propre père, l’homme que j’admirais depuis toujours, n’était qu’une bête. Tout s’imbriqua dans mon esprit. Le danger qui avait obligé ma grand-mère à me kidnapper en quelque sorte, c’était lui. Je comprenais maintenant la réticence de ma mère à me parler de lui, ses frissons lorsqu’il revenait. Je regardais par la fenêtre : pleine lune. Il n’y avait plus aucun doute à avoir. Mon père était un loup-garou. Je le haïssais dès à présent. Le haïssais de tout mon être parce qu’il avait tué ma mère. Oh non, elle n’étais pas morte mais maintenant, chaque nuit de pleine lune, elle devrait subir la transformation plus que douloureuse, elle devrait avaler cette potion infâme qu’on appelle tue-loup, et surtout, elle ne serait plus jamais la même.
« Je t’emmène avec moi. »
Je la pris par les aisselles, n’ayant pas assez de force pour la transporter autrement et je me mis à la traîner jusqu’au salon. Elle perdait son sang abondamment, mais je gardais la tête froide, espérant de toutes mes forces qu’elle serait vivante encore longtemps. Elle ne devait pas mourir, je l’avais décidé ainsi. Finalement j’arrivais à la mettre dans les flammes vertes avant de la rejoindre pour rentrer chez moi, chez nous. Je n’entendis que le cri étouffé de ma grand-mère lorsqu’elle fut face à sa fille ensanglantée, car je me précipitais dehors, me sentant oppressé. Je criais à la lune ma colère, j’hurlais à plein poumon ma haine et ma rage. Je finis par m’écrouler de fatigue.

Suite à ces évènements, ma grand-mère jugea qu’il serait bon que je vois une psychomage, ce que j’acceptai sans protestation, me sentant moi-même trop troublé pour refuser une quelconque aide. Cependant, je n’étais pas fragile, enfin c’est ce que je pensais, jusqu’en quatrième année. Entre temps, j’avais eu le temps de me faire des amis, tous très différents les uns des autres – de toute façon j’étais très différent pour chacun d’eux – et j’avais déjà une certaine réputation de tombeur – l’art de l’hypocrisie que ma grand-mère m’avait transmis était bien pratique -, ainsi que celle de bon élève, voire excellent. Se faire bien voir, en toute circonstance. Règle numéro une. La dernière fois que ma grand-mère en avait parlé c’était lorsque je rejoignais les rangs des Jeunesses Ténébreuses. Ma grand-mère était depuis longtemps une partisante du « côté obscur » plus par facilité qu’autre chose. Et c’était pour cette même raison que j’acceptais de faire partie de ce camp.
J’avais donc dix huit ans. Et le professeur avait décidé de nous mettre face à des épouvantards, « pour s’amuser » avait il dit. La tête haute, concentré, je pointais déjà ma baquette. J’avais toujours réussi à louper cet exercice, sachant très bien qu’elle était ma plus grande phobie, et n’ayant pas envie de me confronter à elle. Mais cette fois ci je me sentais assez fort, après tout j’avais grandi. Pourtant lorsque se profila face à moi la silhouette d’un loup-garou, je fus pris de vifs tremblements. Au prix d’un terrible effort, j’arrivais à me contrôler et à lancer le sort. Néanmoins, lorsque je sortis du cours, mes tremblements revinrent et je n’eus le temps que de fuir mes amis avant qu’un déluge de larmes ne s’écrase sur mes joues. Ces crises de larmes revenaient fréquemment et cela sans raison. J’étais souvent sur les nerfs, abattant mon stresse sur ma mère. J’en vins même à l’insulter. Plus rien n’allait, mon masque commençait doucement mais sûrement à fissurer. Les douleurs du passé se cachant, elles restent tapies dans l’ombre, puis elles surviennent sans nous prévenir, nous laissant dans l’incompréhension la plus totale. Je ne me comprenais plus. Je devenais illogique, trompant toutes mes petites amies avec des garçons bien battis, me cherchant sans me chercher dans les passions. L’être que j’étais ne serait bientôt plus.